De gauche à droite, Rémi Blanchard, Hervé Di Rosa, Robert Combas et François Boisrond devant la fresque réalisée à Cahors en 1987
     
 

Hervé Di Rosa
Hervé Di Rosa fut avec son frère Richard Di Rosa, François Boisrond, Rémi Blanchard et Robert Combas un des principaux artisans du mouvement français de la « Figuration Libre », renouveau de la peinture dans les années 1980, une peinture décomplexée empruntant souvent à la BD, au rock et au graffiti.
En 1985 il participe à la Biennale de Paris. En 2000, Hervé Di Rosa fonde le Musée International des Arts Modestes (MIAM) à Sète. Son art est la figuration libre

 
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  Texte de Hervé Di Rosa paru dans la monographie de Rémi Blanchard aux éditions Somogy en 2004  
           

1981-1993 : douze ans

Début 1981, Bernard Lamarche-Vadel préparait une exposition dans son loft à vendre rue Fondary, dans le 15e. Coup de chance, Michel Boisrond qui cherchait un appartement, visita le lieu et lui demanda à l’occasion de recevoir son fils, François, peintre et étudiant à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris. Bernard me racontera plus tard qu’il avait accepté par politesse (mais que ne ferait-on pas pour un éventuel client !). Il s’attendait alors vraiment à perdre son temps. François Boisrond, devenu mon meilleur ami depuis mon arrivée à Paris et mon entrée à l’ENSAD en 1978, me proposa de l’accompagner. Robert Combas, qui habitait alors avec moi 120, rue de Charonne, se joignit à nous naturellement. Robert et moi étions de Sète et nous connaissions depuis l’adolescence. Nous éditions une revue-œuvre d’art éditée à cent exemplaires : BATEAU ou BATO. Je l’avais présenté à François deux ans auparavant.
Nous étions donc un groupe d’amis plus qu’une mouvance et en réalité, en 1981, chacun de nous savait déjà exactement ce qu’il voulait faire et ce qu’il voulait montrer. La présentation au grand critique d’art parisien fut épique : nous déballions dans le loft élégant nos rouleaux de toile, nos draps de lit peints, nos morceaux de carton barbouillés de peintures industrielles et autres bandes dessinées sans queue ni tête.
Je pense que Bernard Lamarche-Vadel n’a jamais été vraiment sensible à notre travail, surtout pas au mien en particulier, mais grâce à sa grande intuition, il ne mit pas plus de quinze minutes à nous proposer de participer à l’événement qu’il organisait.
C’est ainsi que je rencontrai Rémi Blanchard. Après avoir été étudiant aux Beaux-Arts de Rennes où Bernard était son professeur, celui-ci lui avait proposé de venir à Paris et l’hébergeait sous son toit. C’est donc dans ce fameux loft où nous allions exposer, que Rémi vivait. Une activité bouillonnante régnait rue Fondary, car c’était aussi la rédaction de la revue Artistes.
Cette exposition ne présentait que des artistes totalement inconnus n’ayant jamais exposé, que BLV nous présenta plus tard : Maurige, Catherine Viollet, Jean-Charles Blais et Jean-Michel Alberola. Il écrivit un merveilleux texte et l’exposition eut le succès dont vous avez dû entendre parler. Ce fut un peu le départ de la carrière de tous ces artistes.
Rémi fut le premier avec qui je me liai, peut-être du fait de ses origines modestes ou de cette affection pour les images que nous partagions. Pourtant, j’étais loin de le trouver très rock’n roll. Rémi écoutait plutôt de l’opéra ou de la musique africaine, et il lisait plus volontiers Dostoïevski que les bandes dessinées de Robert Crumb. Je sortais à peine de ma période punk, et même en ayant mûri un peu, c’était quand même “ sex, drugs and rock’n roll ” qui dirigeait ma vie, mes images et mes peintures. Lui Breton, moi Sétois, nos caractères ethniques nous rendaient caricaturaux quand nous étions ensemble : il était sage, très pensif, parlant peu ; il faut dire qu’il était difficile de me voler la parole.
L’expression “ Figuration libre ” fut inventée par Ben quelques mois plus tard, lors d’un grand débat houleux qui suivit une exposition chez lui du travail de Robert Combas et moi-même.
BLV, qui était à cette époque le mentor et le protecteur de Rémi, pensa qu’il était positif de l’inclure à ce groupe. Nous-mêmes avions très vite compris que, malgré nos différends et notre ego, il serait plus facile de nous imposer ensemble. Rémi, à mon sens, ajoutait une touche féerique, mélancolique et poétique qui n’existait pas chez les trois autres. Pour leur part, Maurige et Viollet avaient des univers complètement différents, quant à Jean-Michel Alberola et surtout Jean-Charles Blais, ils ne tenaient pas spécialement à se mélanger aux hurluberlus rockers que nous étions. À cette époque, nous sentions vraiment le soufre dans un milieu de l’art contemporain dominé par les intellectuels et les marchands.
Rémi m’a toujours fait l’effet d’un ange : il était notre pendant positif. Il ne prenait pas de drogues à cette époque, moi beaucoup. Il avait une élégance vestimentaire très simple et très efficace, contrairement à mes perfectos, santiags et ceintures cloutées. C’était un garçon charmeur et il emballait toutes les filles sans exception d’une manière qui me fascinait. En très peu de mots et de gestes, il envoûtait ses interlocuteurs. Sa peinture a le même effet, d’ailleurs : avec très peu de traits, de figures, de couleurs, elle vous entraîne vers des contrées de rêve. Même aux moments les plus noirs de sa vie, son travail était frais, vif, avec le vague à l’âme peut-être aussi. Qu’il soit issu d’une famille humble et nombreuse de surcroît me le rendait encore plus sympathique dans ce Paris bourgeois, si loin de mon Sète natal.
Rémi a été le premier à exposer à la galerie Yvon Lambert. Puis les expositions se sont enchaînées très vite pour chacun d’entre nous. Nous ne nous voyions plus que pour les vernissages, les fêtes et les interviews. Nous habitions chacun de son côté, mais je continuais à partager un atelier avec François Boisrond. Chacun était concentré sur soi et sur son travail. Je crois que Rémi souffrait un peu de cette complicité que nous avions vécue avec François et Robert, et qui disparaissait avec le succès naissant avant même qu’il ait pu lui-même en profiter. Il avait besoin d’autres artistes, d’autres amis, il n’était pas aussi solitaire qu’il le paraissait. Il aimait beaucoup sortir en boîte de nuit, en bande, et il était très généreux aussi. Il m’a prêté à maintes reprises son magnifique atelier quai de Seine, à des moments où j’étais vraiment dépourvu. Il attirait ainsi vers lui quelques créateurs mais aussi de nombreux parasites et toxicomanes. Je tombai dans le même piège mais partis très vite pour les États-Unis, pour échapper à ces influences néfastes (ou à ma faiblesse de caractère, c’est selon). Nous nous apercevions que notre punk et sauvage retour à la peinture et aux images, après des années de Support-Surface, Minimal Art et autres Arte povera, ne suffisait pas à construire un appareil critique, et qu’au-delà de ce fort désir de peindre, nos aspirations étaient totalement différentes, voire antagonistes. Quelques trop rares critiques s’étaient intéressés à nous, comme Hervé Perdriolle et Otto Hahn, mais sans jamais parvenir à élaborer un vrai manifeste autour de notre travail.
Mais était-ce vraiment possible ?
N’étions-nous pas tout simplement quatre artistes d’une même génération qui exposions ensemble à l’occasion, mais sans vraiment d’accointance intellectuelle ? J’ai ainsi perdu de vue Rémi aussi rapidement que je l’avais rencontré. Vers la fin des années quatre-vingt, je ne voyais que rarement mes acolytes, d’autant que la notion du groupe de la Figuration libre me hérissait. Je la trouvais fausse, injuste, et je faisais tout pour m’en détacher. Mon idée sur les images, les objets et l’art modeste n’intéressait pas les autres, qui étaient plus dans une logique de “ peinture-peinture ”.
J’étais très peu à Paris et je n’avais plus de nouvelles de Rémi que de temps en temps : elles étaient de plus en plus mauvaises, surtout quand, sur les conseils de son protecteur BLV, il quitta la galerie Yvon Lambert pour une autre. Malgré le peu d’estime que j’ai pour cette galerie, je trouvai cela une très mauvaise idée.
Quand je le rencontrais, il émanait toujours de lui cette douceur qui commençait à se noircir pour devenir de la dure mélancolie.
J’étais à Sofia quand j’ai appris sa mort : je regrette encore de n’avoir pu être à son enterrement, mais ne regrette pas d’avoir évité les hypocrites. C’était un moment charnière dans ma vie et mon travail, la Bulgarie étant la première étape de mon voyage autour du monde.
Blanchard aurait pu être le Basquiat breton blanc de la France ouvrière si quelques galeries, critiques et conservateurs s’en étaient occupés sérieusement, mais sa mort ne fit que mettre une chape de béton supplémentaire sur ces années quatre-vingt honnies et détestées par la décennie suivante. J’enrage aujourd’hui quand je vois des artistes de la côte californienne très à la mode comme Laura Owens ou Margaret Kilgallen qui citent dans leurs peintures les contes populaires, le folk et l’outsider art. Blanchard avait réussi depuis longtemps ce grand écart entre l’imagerie populaire et la peinture la plus exigeante de Matisse, Gauguin, Chagall, Klee ou Léger.
Je suis sûr que, dix ans plus tard, la vision de ses œuvres permettra de comprendre toute l’importance et la beauté de son travail. Souhaitons que cette exposition nous ouvre les yeux sur l’inconséquence du monde de l’art et nous permette de relire enfin l’art contemporain en France dans les années quatre-vingt, dont il fut un des créateurs les plus magnifiques.

Miami, avril 2004

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