1981 : Découverte des tableaux de Rémi Blanchard à la foire de Bâle. Sa peinture est magnifique, éclatante, étalée à larges coups de pinceaux, éclaboussures, cadres peints prolongeant des tableaux aux formats conséquents.
Blanchard est tout jeune. Il vient d'exposer avec ses amis artistes de la Figuration Libre.
New York, Los Angeles, San Francisco, l'Allemagne, les Pays-Bas les réclament...
1987 : La Figuration Libre est maintenant installée dans le paysage artistique. Toutefois, Blanchard est peu vu en France. On le connaît moins. Il travaille surtout aux Etats-Unis.
Le critique Hector Obalk m'entraîne dans son atelier : nouvelle émotion devant ses acryliques à même le sol.
L'artiste est si réservé qu'il est difficile de communiquer. Il ne parle pratiquement pas, il semble dubitatif.
Je tombe particulièrement en arrêt devant une chouette qui trône dans des teintes sombres, des roses foncés, des violets, des prunes et des touches de jaune vif, des couleurs sans rapport avec la réalité. Je l'achète et propose une exposition immédiatement. Cette œuvre, acquise et revendue par deux fois et que je recherche à nouveau, fut le point de départ d'une amitié profonde et d'une collaboration solide.
1988 : One man show à la FIAC. Blanchard rencontre un franc succès. Les demandes d'exposition se multiplient et ne manqueront plus.
Pendant ces années et jusqu'en 1993, Blanchard peint ou ne peint pas, voyage au loin (au Japon, pays qu'il aime particulièrement, en Thaïlande, en Corée, aux Etats-Unis) ou disparaît en Bretagne ou en voilier. Impossible de le joindre pendant des semaines.
On ne sait jamais très bien où il est, où il va, si les tableaux seront prêts pour l'exposition.
Il est de toutes manières en retard car le temps ne l'intéresse pas.
L'éternel adolescent est soudain devant moi à la galerie, mince, discret, le visage lisse à la manière des japonais. Je ne l'ai pas vu venir, je ne sais pas depuis combien de temps il est là. Les discussions sont courtes, Rémi est avare de mots. Nous parlons de livres, de langues, de voyages. Tous deux nous avons lu et relu les Mille et Une Nuits, le Jardin des roses, Samarcande. Nous évoquons les miniatures persanes et les enluminures du Moyen-âge.
Il aime Matisse et Le Douanier Rousseau. Mais jamais il ne m'a parlé de Gauguin, de l'école de Pont-Aven, de ses aplats et des grands cernes noirs qui enserrent la couleur vive et isole en même temps les images. Il aime la nature, la mer, les bêtes, les rêves d'enfant : il les peint.
Entre-temps, son atelier Quai de Seine a brûlé : son chat est mort, il a tout perdu, sa musique, ses livres, son passeport, ses œuvres, ses repères. Blanchard est désespéré, détruit.
Malgré l'aide de ses amis, des collectionneurs qui lui trouvent un atelier et le soutiennent, il ne s'en remettra pas.
Dans sa dernière série d'œuvres, il peint les thèmes de Shéhérazade, de la pêche miraculeuse, du Soufi : toutes ses images semblent être les images parfaites du bonheur. Elles étaient peut-être aussi les images nostalgiques d'un monde qui ne pouvait pas être.
15 Avril 2004, Elizabeth Krief